Une véritable histoire folle, et son analogie inquiétante à propos des formats et des logiciels

Parfois, la réalité dépasse la fiction, comme le dit l'expression consacrée. Cette fois-ci, il ne s'agit pas d'imaginer l'interdiction des navigateurs modernes, ni celle des disques durs, ni celle de la suppression de la publicité et encore moins d'interdire les améliorations. Cette fois-ci, hors de la rubrique Humour, voici l'affaire judiciaire bien réelle la « plus stupide de tous les temps », ainsi qualifiée outre-Atlantique où elle est même parvenue.

Plantons le décor. Il était une fois...

Il était une fois la société Onet-Luxembourg, située au Luxembourg et chargée du nettoyage de locaux d'institutions européennes de Luxembourg. Elle emploie des femmes de ménage, dont certaines habitent un département frontalier.

Il était une fois la société Transports Schiocchet Excursions qui assure entre autres une ligne de car entre Metz et Luxembourg. Elle permet à des employées d'Onet de se rendre à Luxembourg pour leur travail contre un abonnement mensuel de transport.

Mais ce transport collectif en car est tout de même contraignant : interdiction de parler, interdiction de manger, déplacement d'un point de ramassage fréquenté sans concertation, retards des départs des trajets retour et insultes du chauffeur si cela lui était signalé.

Face à cette situation, les employées ont réagi et se sont organisées : elles ont mis en place du covoiturage, chacune participant à tour de rôle avec son véhicule et partageant les frais. Et alors les choses se sont nettement améliorées : ambiance conviviale, plus de retard, coût moins élevé que l'abonnement mensuel et temps de trajet plus court.

Et alors ? Voici donc ce qui arriva...

Voici donc ce qui arriva déjà en 2003 et qui se répète en 2005 : la société de transport attaque en justice les femmes de ménage ! Au motif que le covoiturage est « un acte de concurrence déloyale et parasitaire ». Avec la demande de condamnation des femmes de ménage à 5000 euros d'astreinte par « infraction » constatée et aussi avec la demande de saisie des véhicules. La société Onet-Luxemboug est aussi attaquée en justice pour incitation au covoiturage, tout en étant dénigrée par Transports Schiocchet Excursions pour violation des conventions de transport.

Pour faire constater les « infractions », les voitures des femmes de ménage sont même suivies. En 2003, c'est le tribunal de Commerce de Briey qui avait été saisi et qui s'était déclaré incompétent. En 2005, c'est le tribunal de grande instance de la même ville qui est saisi. L'audience aura lieu début 2006.

Mais quel est le lien avec l'informatique et les formats ?

Dans un premier temps on peut rire de cette histoire ahurissante. Puis on peut aussi en rire jaune car elle a une valeur symbolique forte. En effet, porter ainsi en justice ce qui semble de prime abord intenable comme raisonnement est inédit. Mais justement, c'est à ce sujet qu'il y a de quoi s'interroger.

La question est en fait celle-ci : est-il autorisé de proposer une alternative à quelque chose qui existe déjà ? Cette question est redoutable et la réponse attendue par certains est « non ». Que chacune utilise sa voiture n'aurait peut-être pas gêné, mais que cela soit organisé et que l'information se soit diffusée au sein des employées est inadmissible pour la société de car : c'est le système du covoiturage qui est attaqué, car concurrent.

Mais alors quel est le lien avec l'informatique en général et les formats en particulier ? Le danger est identique : interdire de proposer un logiciel concurrent ou un autre format que ce qui existe sur le marché, avec condamnation à la clé.

Une exagération ? Hélas non, il y a des exemples passés d'actions elles aussi ainsi attaquées :

  • publier des informations sur le moyen de lire le format d'un DVD ou d'un fichier PDF légalement acquis mais réservés uniquement à un système et qui interdisent d'être lus autrement ;
  • informer de l'existence de failles de sécurité d'un programme ou d'un format.

Et il y a même des risques futurs à propos des fichiers numériques verrouillés et contrôlés avec des dispositifs techniques comme les DRM : il sera impossible d'utiliser ces fichiers (d'images, de musique, de films, de bureautique,...) ailleurs que sur certains matériels et qu'avec certains logiciels. Pas d'interopérabilité, pas de formats ouverts. Et proposer des alternatives sera interdit, car considéré comme de la contrefaçon.

Finalement, il y a beaucoup de situations proches de cette société de car qui attaque le covoiturage... Et nous, utilisateurs, sommes tous des conductrices de voiture.

Sources et liens :