Débats de la séance de 21h30 du mercredi 15 mars 2006 à propos des amendements 340 puis 341 (gras ajouté) :

M. Patrick Bloche - Défendant l'amendement 340, je ne peux que regretter l'absence de notre collègue Le Déaut, éminent spécialiste et défenseur des standards ouverts. Pour nous, l'utilisation d'un standard ouvert ne saurait entraîner le paiement d'un droit de propriété intellectuelle, quel qu'il soit. En effet, dans le monde numérique, ces standards constituent la langue commune parlée par tous, dont l'accès ne peut être payant. Notre amendement rédigerait donc comme suit l'article 4 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique : « On entend par standard ouvert tout protocole de communication, d'interconnexion ou d'échange et tout format de données interopérable dont les spécifications techniques sont publiques, dont l'utilisation ne fait l'objet d'aucune restriction d'accès ou de mise en œuvre et dont l'utilisation n'oblige pas à l'acquittement de droits de propriété intellectuelle. »

M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné cet amendement mais j'y suis, à titre personnel, défavorable. Outre qu'il s'agit d'un cavalier, il serait particulièrement regrettable dans un texte visant à protéger le droit d'auteur de dire ainsi le peu de cas que l'on fait de la propriété intellectuelle.

M. le Ministre - Avis défavorable.

M. Jean Dionis du Séjour - Nous sommes opposés à cet amendement qui procède à un curieux amalgame, source de confusion.

Je profite de l'occasion pour revenir sur la question de notre amendement disparu. Nous l'avions déposé en janvier à l'article 14, sur lequel la discussion était rouverte et qui était donc recevable. Le service de la séance, ayant souhaité, pour des raisons sans doute légitimes, en regrouper la discussion avec d'autres amendements, l'a déplacé après l'article 14, à un endroit où la discussion n'était pas rouverte. Résultat, cet amendement, sur lequel nous avions beaucoup travaillé et qui améliorait notablement le texte, a disparu. Monsieur le ministre, la forclusion sera-t-elle levée ? L'esprit de notre discussion l'exigerait. Il faut être fair play.

M. Frédéric Dutoit - Je suis étonné de la réponse du rapporteur. Avec l'amendement 340, que nous soutenons, nous sommes pleinement dans le sujet. Qu'il y ait un rapport avec la loi sur l'économie numérique, bien entendu. Le débat que nous avions eu à l'époque était un peu de même nature. Je suis donc tout à fait favorable à l'amendement de nos collègues socialistes.

L'amendement 340, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Christian Paul - Tel Christophe Colomb, notre rapporteur découvre le numérique...

M. Laurent Wauquiez - Ce serait plutôt Gutenberg !

M. Christian Paul - Un standard est dit ouvert lorsqu'il est librement utilisable par tous : c'est une langue commune ; le tarifer, c'est comme tarifer la langue française ! Votre réponse sur l'amendement 340 risque de figurer dans le long bêtisier de ce débat...

Notre amendement 341 pourrait vous permettre de réparer en partie le mal commis à l'article 7 - ce fameux article qu'on est en train de réécrire dans les cuisines du ministère de la culture -, en clarifiant certaines notions, notamment pour éclairer le juge. Il précise qu'on entend par compatibilité « la capacité de deux systèmes à communiquer sans ambiguïté », qu'on entend par interopérabilité « la capacité à rendre compatibles deux systèmes quelconques » et que « l'interopérabilité nécessite que les informations nécessaires à sa mise enœuvre soient disponibles sous la forme de standards ouverts ».

M. le Rapporteur - Autre cavalier : avis défavorable. Je n'en dirai pas plus, de peur de ne pas être compris par M. Paul...

M. le Ministre - Avis défavorable car la définition proposée n'est pas adaptée. L'interopérabilité peut très bien être atteinte avec un standard fermé, par exemple lorsqu'un éditeur cède des licences d'usage de son système, ou encore par échanges bilatéraux entre les prestataires des deux systèmes. En outre, comme il n'existe pas encore, même si des travaux sont en cours, de standard ouvert pour les mesures techniques, il est prématuré d'en imposer l'utilisation.

M. Patrick Bloche - Monsieur le rapporteur, nous sommes en plein dans le sujet ! Nous avons déjà évoqué la problématique de l'interopérabilité à l'article 7 ; dans le compte rendu de nos débats que faisait Le Figaro ce matin, la journaliste notait d'ailleurs avec pertinence que « nul ne sait encore exactement où commence et où se termine cette interopérabilité ». Rester dans l'imprécision, c'est confirmer l'insécurité juridique.

Montrons autant de détermination que la Commission européenne sur l'interopérabilité ! Selon une dernière dépêche, elle a envoyé une nouvelle lettre à Microsoft pour lui signifier qu'il ne respectait toujours pas les mesures anti-trusts imposés par Bruxelles en mars 2004 ; les services européens de la concurrence exigent de Microsoft qu'il fournisse à ses rivaux la documentation nécessaire au dialogue, ou interopérabilité de son système d'exploitation vedette Windows avec les produits concurrents. La Commission a même menacé Microsoft, fin décembre, d'amendes pouvant aller jusqu'à deux millions par jour.

M. Frédéric Dutoit - Monsieur le ministre, je ne comprends pas pourquoi vous refusez cette définition claire de l'interopérabilité - dont en fait, semble-t-il, vous ne voulez pas...

M. Richard Cazenave - J'entends beaucoup de choses très injustes... Nous avons déjà pris des mesures pour garantir l'interopérabilité, et nous aurons l'occasion de les affermir encore. Je vous renvoie à l'article 7.

M. Christian Paul - Pourquoi le Gouvernement le réécrit-il ?

M. Richard Cazenave - C'est une fausse information, ce n'est pas le Gouvernement qui réécrit l'article 7.

M. Christian Paul - Qui d'autre alors ?

M. Richard Cazenave - Reconnaissez donc les progrès immenses qui ont été faits par rapport au texte initial, grâce au travail parlementaire et parce que le ministre a accepté d'entendre nos arguments. Par ailleurs, arrêtez de dire que les mesures techniques que la directive nous impose de prendre vont conduire au « flicage » des internautes : le flicage aurait bien plus résulté de la nécessité de repérer ceux qui auraient pratiqué le téléchargement sans avoir acquitté la licence globale optionnelle... Ici, nous mettons en place un suivi de l'œuvre.

Mme Martine Billard - C'est la même chose !

M. Richard Cazenave - Pas du tout ! Il n'y aura pas de flicage général des activités de l'internaute. Évitons les procès d'intention et abstenons-nous de refaire sans cesse l'ensemble du débat.

L'amendement 341, mis aux voix, n'est pas adopté.